Deuxième retour sur la journée d’étude du 13 novembre avec aujourd’hui l’atelier animé par Luc Maumet de la Médiathèque Valentin Haüy à Paris sur le livre numérique, les DRM et l’accessibilité.
Numérique et accessibilité
Le numérique peut être vu comme un changement très positif, une “révolution” pour les personnes en situation de handicap visuel. Les livres sonores existent, certes, il s’agit d’une solution commerciale accessible mais qui présente des limites : entre 3500 et 4000 titres sont disponibles dans le commerce, ce qui est très peu. De même, le téléagrandisseur peut être une solution ponctuelle, mais utilisée par peu de personnes au final : en effet, qui lit un livre en entier en bibliothèque ?
En fait, pour les personnes en situation de handicap visuel et grâce au numérique, les modalités d’accès sont différentes : le livre numérique est accédé en modifiant l’affichage, ou en utilisant un afficheur Braille, ou encore en vocalisant. Ces trois façons de lire font partie de la « révolution » dont il a été question en introduction. Par exemple, le lecteur peut alors télécharger le livre sur l’Ibookstore, le récupérer et par connexion bluetooth le lire sur sa plage Braille.
Pour faire un parallèle au livre numérique, on peut observer ce qu’il s’est passé dans le monde de la musique : il n’y a pas eu d’écroulement des ventes, mais il y a eu un changement radical : entre 2008 et 2012, le nombre d’albums produits en France a été multiplié par trois.
Et la bibliothèque dans tout ça ?
Dans ce contexte, la bibliothèque peut être le lieu pivot de ces apprentissages autour du livre numérique.
D’emblée a été soulignée la part importante de l’accompagnement humain dans la découverte et l’utilisation du livre numérique : la majorité des usagers sont susceptibles de ne pas connaître les moyens qu’ils ont pour accéder à l’écrit.
En bibliothèque, nous pouvons donc informer nos usagers et tenter de les accompagner au mieux. C’est d’autant plus vrai qu’aujourd’hui, avec l’exemple des BU, on voit bien que pour certaines ressources, il n’y a pas de choix : le document est disponible en version numérique seulement.
Les DRM
Mais il y a un problème dans ce nouvel écosystème : les DRM. Les DRM (Digital Rights Management) sont des verrous apposés par l’éditeur : ils définit ainsi des limites aux usages qu’il refuse. En limitant les usages possibles, il empêche des usages intéressants, en particulier pour les personnes en situation de handicap.
Le watermarking (traçabilité) est aussi une forme de DRM, qui peut être un verrou. La DRM, ça va du plus fermé type Kindle avec format propre, le DRM dur comme Adobe, le watermarking voire l’absence de DRM.
Prêt Numérique en Bibliothèque
La DRM Adobe est la plus répandue. Elle est par exemple présente dans le projet Prêt Numérique en Bibliothèque (PNB) développé actuellement à Aulnay-sous-bois, Montpellier et Grenoble avec Bibook. Bibook a pu être testé par des experts : on peut emprunter un livre et le consulter en étant aveugle, mais il faut être devant son ordi sous Windows et vocaliser ou utiliser une plage Braille. La DRM Adobe restreint l’usage et limite à l’utilisation de Windows.
Si je prends un livre de PNB et que je casse le DRM, ce qui est illégal, alors je pourrai l’écouter, le lire en braille, etc. On peut toutefois noter que de plus en plus de documents grand public, comme les derniers prix littéraires par exemple, sont directement vendus sans DRM. Pour le reste, il y a des exemples de bibliothèques qui démarchent des petits éditeurs et proposent par ailleurs seulement des livres du domaine public et sans DRM pour l’instant.
Pour le livre numérique en bibliothèque, le vocabulaire utilisé (prêt, retour) est le même que pour les livres papier. Sauf qu’en fait, en rendant un livre, on n’y a plus accès. On peut dire que les problèmes des personnes en situation de handicap, concernant les DRM, sont les mêmes que ceux du grand public.
Exception handicap
Le problème de l’offre sans DRM qui est toujours restreinte a cependant une solution : en attendant le jour où l’on pourra tous proposer des livres sans DRM ( 😉 ), il existe l’exception handicap. Cette exception bénéficie surtout aux bibliothèques spécialisées, par exemple celle de l’association Valentin Haüy. Il y a l’exemple de Eole, un catalogue de livres numériques accessibles aux personnes empêchées de lire (10 000 documents, 5 000 utilisateurs), la BNFA (bibliothèque numérique francophone accessible, 30 000 documents) ou encore Bookshare (180 000 documents).
Mais il y a peut-être un manque de communication autour de ces solutions : les gens ne sont pas au courant en France !
L’importance de la médiation
Si on compare avec les Pays-Bas, la bibliothèque vous proposera forcément une solution. Il y a bien sûr des exemples particuliers en France, dont la bibliothèque Marguerite Duras à Paris qui accueille la journée d’étude : elle propose des services spécifiques, les personnels sont formés, etc. Il est important également de souligner l’intérêt de la médiation par les pairs.
La médiation est très importante : c’est elle qui permet aux publics de découvrir les documents que nous pouvons leur proposer. Un autre intérêt de cette médiation est que le livre numérique pose la question de l’accès : ce n’est pas la lecture avec les yeux, et il y a plusieurs façons d’y accéder : voix humaine, voix de synthèse… La voix de synthèse peut être un pas à franchir, mais une fois qu’il est effectué, on s’y habitue. (Le compte-rendu de l’atelier numérique sur l’accessibilité et les tablettes en parlera davantage.) Avec la voix de synthèse, on a un accès formidable au document.
Au-delà, on a des solutions techniques, certes, mais il faut mettre en place une vraie médiation : former les agents, faire connaître auprès des usagers, en particulier les usagers potentiels. Les bibliothèques partenaires de l’AVH (34 actuellement) peuvent inscrire directement leurs lecteurs à Eole, sinon le plus simple est de les rediriger vers daisy.avh.asso.fr
L’équivalent en Suède, pour comparer encore avec un autre pays européen, est accessible (avec médiation) dans toutes les bibliothèques municipales.
Exception et offre générale
Au final, l’une des difficultés est de faire coexister les offres spécialisées et les offres courantes (Eole ET PNB). Le piratage est illégal : on n’en fait bien sûr pas la publicité. Par contre, on peut rappeler pourquoi il existe… en particulier pour les personnes qui ne peuvent pas le lire. Mais au final, la question n’est pas de savoir s’il est légal ou non de craquer un DRM, mais plutôt de prendre en considération l’accessibilité : voir la campagne the right to read d’Eblida (Eblida, au niveau européen, milite pour le droit de lire en bibliothèque, ce qui inclut les personnes en situation de handicap).
Pour aller plus loin
Ce compte-rendu s’appuie sur la prise de note qui a eu lieu durant l’atelier à cette adresse :
https://docs.google.com/document/d/1KXLRLj2XPVMhIwX01GSdoL9QCzIhLF0WFlDvyRiq5Kc/
Pour plus d’informations, consultez le blog accessibib.wordpress.com